Pensez-vous que la santé mentale des élèves est suffisamment prise en compte dans le système éducatif ?
- Melleseraphine-net Éveiletvous
- 12 oct.
- 4 min de lecture
Dans le cadre de la semaine de l'éducation, j'ai posé cette question à Florence Parisot : psychiatre - illustratrice et auteure

Pouvez-vous nous raconter votre parcours : comment passez-vous de la psychiatrie à l’écriture et à l’illustration ?
Une des raisons qui m’ont fait devenir psychiatre, c’est que j’aime qu’on me raconte des histoires, j’aime tous ces morceaux de vie que les patients déposent lors de nos entretiens. C’est une façon d’aimer les autres, et c’est une façon de s’enrichir humainement chaque jour. La chanson dit qu’on n’est riche que de ses amis. Moi, je suis riche des histoires de mes patients. Sauf que vous imaginez bien que ces morceaux de vie ne sont pas des contes de fée. Ce que les gens ont à me dire, c’est souvent très dur, avec la souffrance en trame de fond, la souffrance comme cause, la souffrance comme conséquence, la souffrance comme compagnon permanent. Alors moi, chaque jour, chaque heure, j’accueille tout ce négatif et je tente avec mes petits moyens, mon écoute, mes médicaments, mes thérapies, de transformer ça en mieux-être, en guérison.
Et comment je continue à aller bien tout en restant empathique et bienveillante? C’est là que la création artistique et littéraire intervient. J’essaie de transformer tout ce ressenti en une œuvre, quelque chose de beau, ou d’amusant, ou de simplement distrayant. Quand je dessine, par exemple, chapelier fou atteint de troubles bipolaires, j’essaie de faire passer dans son regard ce mélange de tristesse profonde et de capacité à se lancer dans une danse farfelue.
Comment vos expériences en psychiatrie influencent-elles vos créations artistiques et littéraires ?
Qu’est-ce qui vous inspire le plus dans la rencontre entre vos deux métiers ?
La psychiatrie est centrale dans ma vie, alors je crois que tout ce que j’écris, tout ce que je dessine a cet univers en toile de fond. Pas forcément aussi flagrant que dans la nouvelle publiée dans le Boo! 3, qui parle de dépression, mais plutôt comme une ambiance. Certains de mes patients sont décalés, ils ont fait un pas de côté et ils sont sortis de notre réalité commune. Pour moi, écrire, dessiner, c’est faire aussi ce pas de côté, c’est oser le non réalisme, voire le surréalisme. Penser que chaque fleur puisse être une danseuse comme dans les illustrations du calendrier, ou qu’un chat au sale caractère puisse mettre des plans en place pour ne pas perdre de poids, c’est assez proche d’une façon de penser psychotique en fin de compte. C’est cet univers décalé que m’enseignent mes patients. Dans l’exercice de récréature sur la folie de mai, j’ai raconté une histoire en faisant parler une patiente atteinte de pathologie psychiatrique. Cela permet bien sûr des ressorts humoristiques car elle n’a pas de filtre, de vernis inhibiteur. Moi, ça me permet à la fois d’évacuer une partie de ce que je reçois en entretien et aussi de mieux comprendre mes patients en vivant à travers mes écrits une histoire depuis leur place. Je crois que c’est ça qui est magique, le bénéfice est bilatéral, mon métier nourrit mon art, et mon art me rend plus efficace dans mon métier.
Pensez-vous que la santé mentale des élèves est suffisamment prise en compte dans le système éducatif ?
Ah? Parce qu’il est pris en compte? Je ne suis pas une spécialiste, ce que je connais de l’éducation, ce sont les conséquences sur ceux qui viennent me voir, laminés par ce système, alors vous imaginez l’image négative que j’en ai….
En tant que psychiatre, pensez-vous que l’art (écriture, dessin) puisse être un outil thérapeutique pour les enfants et les adolescents ?
En tant que psychiatre, je n’ai aucune légitimité pour répondre à ces questions. Je travaille sur la maladie mentale, pas sur la santé mentale, ou très peu. J’interviens une fois que les dégâts ont eu lieu. Il existe des tas de chercheurs en sciences de l’éducation, en neuropsychologie, en psychologie qui essayent de faire avancer les connaissances et les pratiques en éducation. En tant que personne lambda, je considère que l’accès à l’art et la pratique sont des apports de bien-être majeurs. Une partie notable de mon éducation, de ma personnalité, de ma vision du monde a été mise en place par mes lectures, par mes ressentis artistiques face à certaines œuvres, par les chansons que j’ai écoutées.
Je n’ai ni expérience, ni formation en art-thérapie. Dans l’ensemble, je pense que tous les médias, tous les supports de thérapie sont valables, utilisés par les bonnes personnes, adaptés aux bons patients. De mon point de vue ce n’est pas l’outil qu’on utilise qui est le plus important, ce sont les capacités du soignant.
Avez-vous déjà intégré vos illustrations ou vos histoires dans votre pratique professionnelle?
Mon bureau est décoré de nombreux dessins et peintures que j’ai faits moi-même et qui sont souvent une interface à la discussion. Il y a par exemple une adolescente au visage triste et au regard vide derrière mon épaule gauche, et souvent des patients me disent “tiens, je me sens comme elle” en la montrant. Et quand je change les tableaux, les patients s’en aperçoivent et commentent. J’avais dans mon bureau le calendrier des danseuses et une de mes patientes âgées m’a raconté au bord des larmes qu’elle avait failli devenir danseuse professionnelle, puis qu’elle était tombée enceinte trop jeune et que la vie l’avait éloignée de ses rêves. Quand j’avais le calendrier chats, les patients disaient “oh, on dirait mon Bobby!” ou “c’est le portrait craché de mon Nougat, expression diabolique inclues!”. Donc, non, je n’intègre pas volontairement mes œuvres dans ma pratique, mais elles y sont présentes.
Quel regard portez-vous sur la créativité comme moyen d’expression émotionnelle ?
Je pense que la créativité est un moyen d’expression central, je pense que c’est ce qui fait de nous des êtres humains, c’est ce qui nous permet d’être plus qu’une bactérie, qu’un légume ou qu’un pur consommateur. Se servir de l’art comme moyen d’expression émotionnelle, c’est à mon avis une façon d’aller beaucoup plus loin, une liberté supplémentaire. Certains de mes patients savent que j’écris, que je dessine. Et cela leur permet d’oser partager avec moi leurs propres créations. J’ai des patients psychotiques qui peignent des œuvres très fortes, très dérangeantes. D’autres souffrant de dépressions qui disent plus dans leurs slams ou leurs poèmes que ce qu’ils peuvent exprimer en face à face.
Découvrez aussi :




Commentaires